Chamane "Eboueuse de l'âme" article de Andy Millet
Sa rencontre avec le chamanisme est le fruit d’un “hasard”. Auparavant comédienne, Aude Ferté s’est formée à cette pratique non reconnue dans une tribu indienne, en Amérique du Sud. Rencontre avec l’invisible. Le chant, issu de la tradition chamanique en Amazonie péruvienne, permet de « soulager les âmes »...Les battements de son tambour résonnent. Ses grands yeux sombres et langoureux se ferment. Assise par terre, en tailleur, Aude Ferté, teint mat et longs cheveux noirs, élève sa voix, suave. L’atmosphère vibre dans l’immense salle de soins. « Dans l’invisible, tout n’est que champs informationnels sauf que nous n’avons pas de décodeur pour les voir », dévoile impénétrable la praticienne chamanique. À 39 ans, cette maman divorcée, vêtue de vêtements amples et colorés, ne déconnecte pas : « Un film entier peut transiter en wifi et nous ne voyons rien alors que l’information passe, observe-t-elle judicieusement. En tant que chamane, je travaille sur ces champs informationnels pour rétablir un équilibre ». « Ceux qui ont ça dans le sang, comme Aude, se forment et en font leur vie sont assez rares », estime Laurent Huguelit, membre de la Faculté FSS (The Foundation for Shamanic Studies), fondée par l’anthropologue américain, Michael Harner. En France, où le nombre de praticiens n’est pas répertorié, la FSS constate une augmentation de l’intérêt pour le chamanisme depuis 10 ans.
La Marseillaise, ex-comédienne, exerce depuis quatre ans à « Marosa », l’espace de soins qu’elle a créé dans le 4e arrondissement. Cette adepte du véganisme clarifie d’emblée : « Le chamanisme est une spiritualité, ce n’est pas une religion. Il n’y a pas de dogme, ni de doctrine ».

Aude Ferté à "Bear Bute" USA, montagne sacrée des indiens Lakota, après sa quête de vision été 2019.
L’aventure au Pérou La rencontre avec ce qui deviendra sa seconde vie est le fruit d’un « hasard ». « À l’époque, mon compagnon, Christian, avait une forme de paralysie des jambes. Nous sommes allés voir une chamane pour l’aider », raconte Aude. Le voyage du couple remonte à une dizaine d’années. A cette époque, Christian , consultant dans le secteur médico-social, marchait par intermittence avec des béquilles depuis deux ans. « Les médecins ne pouvaient rien faire alors c’est moi qui ai proposé cette expérience à Aude », retrace le quinquagénaire, prof d’aikido. « J’y suis allé par curiosité, pour voir si ça pouvait me faire du bien. Au bout de quelques jours, les douleurs se sont atténuées. Depuis je remarche normalement. […] Ça fait réfléchir », reconnaît le Provençal. Pour Aude, l’excursion sud-américaine a carrément été une « révélation ». La jeune femme y était pourtant réticente. Du moins au début. « Je me disais ‘Je vais prendre de l’ayahuasca (cet hallucinogène est considéré en France comme un stupéfiant depuis 2004), je vais me droguer. On va tous se vomir dessus, ça va être une catastrophe !’ », rit-t-elle aujourd’hui. « Elle a été complètement happée par ça, au sens positif du terme. C’est devenu sa raison d’être », commente Christian. Les deux époux se sont séparés. L’intérêt croissant d’Aude pour le chamanisme a été un « déclencheur », admet son ex-mari. « Nous n’étions plus tout à fait sur la même longueur d’ondes. Moi j’avais une certaine approche mais pas dans sa mesure, alors qu’Aude est dans une recherche personnelle forte ».
État de conscience modifié Formée à la fois au Pérou et en France, Aude intègre dans sa pratique plusieurs courants du chamanisme. Son initiation de base, elle l’a faite auprès d’une chamane péruvienne, Lydia, devenue son enseignante. “J’ai aussi appris des Indiens Shipibos-Conibos, en Amazonie péruvienne : ceux qui travaillent avec l’ayahuasca”, témoigne Aude. La prise de l’hallucinogène leur permet d’entrer dans un état de conscience modifié. En France, l’apprentie chamane a du trouver un autre moyen d’induire la transe : par le tambour. Porté autour du cou, ses battements doux et réguliers permettent à Aude de succomber à un « état de transe léger, où je peux juste me laisser porter par ce qui me traverse. Je suis consciente mais je m’ouvre à d’autres choses ». « La vibration du tambour appelle les mémoires enfouies à remonter à la surface pour que je les libère », explique Aude. L’instrument est utilisé par les chamans occidentaux. Des indigènes Shipibos, la praticienne chamanique a gardé les chants, qui permettent de « soulager ». Ceux-ci sont spontanés et Aude les entonne dans des langues qu’elle ne connaît même pas, affirme-t-elle. La trentenaire développe, insaisissable : « C’est comme si, par le chant, j’incarnais une vibration de guérison ».
« Nous sommes les éboueurs de l’âme » Aude prodigue des soins individuels à Marseille, dans une grande salle lumineuse flambant neuve. Les murs sont composés de pierres. Après un temps de discussion avec le client, le rituel démarre. La personne se couche sur un matelas posé à même le sol et ferme les yeux. Aude utilise alors son tambour en peau de bête, son hochet, le chant, et le travail avec les mains « pour déloger des mémoires comme des problématiques qui appartiennent à des ancêtres et qui n’ont pas été réglées. Je les renvoie vers leur matrice d’origine. C’est un travail de rangement et d’équilibre dans l’invisible […] La chamane qui m’a initiée me dit que nous sommes les éboueurs de l’âme ».
Guérison inexplicable Plantée au sol, les yeux fermés, Aude meut ses doigts vers le corps de son patient. Les techniques de soins avec les mains, la chamane les a aussi récupérées des Indiens. « Soit mes mains sont appelées sur le corps de la personne, soit je vois des choses émerger dans l’invisible donc je travaille dessus. Je peux par exemple ressentir une gêne dans ma gorge, alors je vais me concentrer sur la gorge de la personne », livre la petite brune ténébreuse. Mais elle n’explique pas tout. « Concrètement, l’endométriose, aucune femme n’en guérit ! » Aurélie Contandin, 27 ans, dont l’endométriose a été diagnostiquée à l’adolescence, n’explique en effet pas comment elle en est revenue… Fatiguée des crises de douleur à répétition qui l’obligent à se rendre aux urgences jusqu’à « quatre fois par mois », cette rédactrice pour sites internet de mangas et jeux vidéos a participé, en août 2018, à un « stage de guérison » en groupe, organisé par Aude. « Nous avons suivi une méditation guidée avec sa voix. Elle nous a demandé de nous poser une question à nous-mêmes, à savoir quelles étaient nos propres techniques de soins », livre encore stupéfaite Aurélie. Ainsi, par groupe de trois, la Marseillaise et ses compères alternent chacun leur tour le rôle du « guérisseur » et du « soigné ». Au cours de l’atelier, Jocelyn, un des participants qui ne connaît pas la situation d’Aurélie, pose sa main au niveau de son utérus. « Là, j’ai entendu une voix qui m’a murmuré ‘Maintenant ça va aller’. […] Je me suis dit que j’allais finir à l’asile », raille-t-elle. Une semaine plus tard, sa gynécologue croit elle aussi devenir folle quand l’échographie d’Aurélie ne montre aucune trace de la maladie... Son endométriose a disparu. « Concrètement, l’endométriose, aucune femme n’en guérit ! », oppose-t-elle, rationnelle. Plus rarement, la praticienne rencontre des personnes gravement malades. Au cours d’un soin avec une femme en stade avancé d’un cancer des ovaires, la chamane, énigmatique, dit avoir « senti la présence de deux personnes qui se sont présentées [à elle] comme des ‘chirurgiens de l’invisible’. Ils m’ont dit ‘Laisse faire, nous allons opérer’ et j’ai perçu qu’ils travaillaient sur son foie […] Plus tard, la personne m’a recontacté pour me dire que ses métastases avaient disparu. Ce qui était encore plus fort, c’est qu’elle avait des traces de micro-cicatrices sur le foie ». Pour Aude, ce signe a été une confirmation — même si la chamane ne prétend pas remplacer la médecine traditionnelle. Mais la soignée, suivie par un cancérologue, est décédée des suites de son cancer. « Je peux comprendre les critiques » Enfant, Aude se moquait « gentiment » de son père qui prétendait « voir des défunts. Donc je peux comprendre les critiques », accorde-t-elle, esquissant un sourire. Comme elle pouvait l’être à son âge, Roman, son fils de 12 ans et dont Christian est le père, est dubitatif. « Avant, maman faisait du théâtre mais ça a changé… Après, le chamanisme lui a apporté des trucs, mais moi je n’aimerais pas faire ça », livre, timide, le collégien. Consciente de la « part de folklore » que le chamanisme peut receler, Aude se bat pour le rendre plus accessible, comme lors d’une conférence donnée à Sciences Po Aix-en-Provence, l’année dernière.

La praticienne chamanique a donné, le 29 janvier 2019, une conférence à Sciences Po Aix-en-Provence sur le thème de « La perception de la femme dans la culture chamanique ». Aude tient dans ses mains deux représentations de déesses du Néolithique, des statues de -20 000 a.v. J-C qui célèbrent le culte d’une « mère universelle », période où l’humanité aurait vénéré la Terre et la maternité. De g. à dr. : Aude Ferté et Lucie Bertrand-Luthereau, maîtresse de conférences à Sciences Po Aix-en-Provence. Laura LALOUX ©
Pour la Marseillaise, c’est bien son premier voyage imprévu au Pérou, avec son ex-mari, qui a changé sa vie. Là-bas, au cours d’une cérémonie chamanique, « j’ai reconnu mes ancêtres. Ils ont retiré les verrous que j’avais au niveau du cœur, jusqu’au dernier. J’ai ressenti une libération incroyable. Puis une voix m’a dit : ‘Tu es guérie et maintenant tu guéris’». Andy MILLET